Appel aux gouvernements d’un groupe d’experts économiques français et allemands réunis à Düsseldorf 27 avril 2012
“Was die Stunde hat geschlagen, sollst du deinem Volke sagen“
[Quand l’heure a sonné, tu dois avoir le courage de le dire à ton peuple]
Heinrich Heine
Treize ans après le lancement de l’euro, il est patent que non seulement cette expérience n’a tenu aucune de ses promesses, mais même que sa poursuite risque de déboucher sur le chaos.
Treize ans après le lancement de l’euro, il est patent que non seulement cette expérience n’a tenu aucune de ses promesses, mais même que sa poursuite risque de déboucher sur le chaos.
Au lieu de la prospérité, un ralentissement de la croissance dans
tous les pays de la zone, avec un important volant de chômage.
Au lieu de la rigueur, dix années d’augmentation irresponsable des
dépenses publiques et des dettes souveraines, qu’une génération de
sacrifices ne suffirait pas à apurer.
Au
lieu d’une meilleure intégration économique, des déséquilibres entre les
pays qui s’aggravent chaque jour. Les pays d’Europe du Sud, Grèce, mais
aussi Portugal, Espagne, Italie, et même France voient leur
compétitivité se dégrader depuis dix ans de manière continue. Asséchant
le pouvoir d’achat des uns, cette situation fait obstacle à la
croissance des autres et donc au développement du marché unique.
Au lieu d’un rapprochement des peuples, une animosité croissante entre créanciers et débiteurs.
Au lieu d’un progrès de la démocratie, des décisions venues de haut imposées à des peuples qui les refusent.
Les plans successifs destinés à « sauver l 'euro » sont vains car ils
ne s’attaquent, d’ailleurs avec peu d’effet, qu’aux seuls déficits
publics et non à ce qui est racine du mal : la propension différente
des pays à l’inflation. La seule solution serait la déflation des prix
dans les pays déficitaires : or une telle opération n’a jamais réussi
nulle part (ex : l’Allemagne de 1930, la France de 1934).
Poursuivant un objectif qu’elle n’atteindra de toutes façons pas,
l’Europe est entraînée dans une spirale de récession qui, s’agissant du
premier marché mondial, inquiète la planète toute entière.
À cette récession s’ajoute le risque d’inflation, d’autant qu’en
violation de ses statuts, la Banque Centrale Européenne ne voit
d’autre issue, pour prolonger l’euro, qu’un recours massif à la création
monétaire au bénéfice des banques, trop heureuses de l’aubaine.
Il est tout aussi illusoire d’espérer organiser une « Europe des
transferts », qui exigerait le transfert durable de centaines de
milliards d’euros vers les pays en difficulté, revenant à une
collectivisation des déficits publics. Solution refusée par les peuples
que l’on voudrait mettre à contribution tout en n’offrant aucun espoir
de redressement aux plus mal en point.
Cet acharnement thérapeutique, qui ne vise que le court terme, ne pourra éviter l’accélération des secousses qui touchent non seulement la sphère financière mais aussi l’économie réelle.
S’il n’y est pas rapidement mis fin, l’expérience de la monnaie
unique se terminera de la manière la plus dramatique : détérioration de
la situation économique, explosion du chômage, désordres sociaux,
montée des extrémismes, résurgence d’anciens conflits, destruction de
l’État de droit : les pays de l’Europe deviendraient ingouvernables.
L’Union européenne ne saurait demeurer la marionnette des oligarchies
financières qui visent la destruction de la base même de nos
existences. N’est-il pas honteux de les voir soumettre les pouvoir
politique et économique au gré de leurs intérêts ?
Il est clair que seules des dévaluations et réévaluations réelles,
adaptées à la situation de chaque pays, pourront mettre fin aux
déséquilibres entre eux et, par-là, rétablir la croissance. L’histoire
nous offre de nombreux exemples de ruptures d’unions monétaires : il en
ressort que non seulement il est possible de les gérer de manière
ordonnée sur les plans politique et économique, mais aussi qu’elles se
sont révélées bénéfiques, et cela au bout de quelques mois seulement.
C’est pourquoi les économistes allemands et français signataires,
réunis à Lyon en octobre 2011 et à Düsseldorf en avril 2012, appellent
leurs gouvernements respectifs à convenir et à proposer aux autres États
membres de l’Union européenne, de mettre fin à l’expérience de la
monnaie unique et, à cet effet, de prendre sans délai les mesures
suivantes :
- remplacer
l’euro par de nouvelles monnaies nationales disposant de l’ensemble de
leurs prérogatives dans chacun des États, sachant que certains pays
pourront passer des accords bilatéraux ou multilatéraux pour mettre en
commun leur monnaie ;
- créer
un nouveau système monétaire européen, comportant une unité de compte
européenne, égale à la moyenne pondérée des unités monétaires nationales
;
- afficher
d’emblée les parités souhaitables des monnaies nationales vis-à-vis de
cette unité de compte européenne, calculées de façon à limiter la
spéculation, restaurer la compétitivité de tous les États, assurer des échanges équilibrés entre eux et résorber du chômage ;
- veiller,
en s’appuyant sur un Institut monétaire européen, à ce que les taux de
change réels des monnaies nationales soient ensuite stabilisés, à
l’intérieur d’une marge de fluctuation à déterminer ;
- convertir
dans chaque pays l’ensemble des prix et salaires intérieurs ainsi que
les avoirs bancaires sur la base de un euro pour chaque unité de monnaie
nationale ;
- convertir, selon la même règle, les dettes publiques de tous les pays de l’euro en leur nouvelle monnaie nationale ;
- convertir les créances et dettes privées internationales dans l’unité de compte européenne.
Le règlement des dettes publiques et privées pourra faire l’objet de
négociations bilatérales, entre créanciers et débiteurs, à partir des
deux règles de base énoncées dans les deux précédents alinéas.
Dans ce contexte, une même priorité doit être donnée aux politiques
nationales, celle de développer et d’adapter toutes les forces
productives, afin d’accroître la productivité de l’ensemble de l’Europe.
La coopération des institutions responsables doit permettre de réussir une transition en bon ordre.
Cette transition doit être la plus courte possible : elle ne pose pas
de problèmes techniques majeurs. Les nouvelles règles doivent être
affichées clairement. Il sera demandé aux États de veiller, en
s’appuyant sur leurs Banques centrales nationales, désormais autonomes, à
ce que la transition décidée n’entraîne aucune déstabilisation du
système financier européen et lui donne même les moyens de contribuer
activement au retour de la croissance.
En
lançant cet appel, les économistes allemands et français signataires
souhaitent ardemment contribuer, par leur expertise et leur engagement, à
la relance de la construction européenne sur des bases rénovées et
réalistes, en même temps qu’au redressement économique de l’Europe.
Le 27 Avril 2012.
Bruno Bandulet, Rolf Hasse, Wilhelm Nölling, Karl Albrecht Schachtschneider, Wolf Schäfer, Dieter Spethmann, Joachim Starbatty,
Alain Cotta, Jean-Pierre Gérard, Roland Hureaux, Gérard Lafay, Philippe Murer, Michel Robatel, Jean-Jacques Rosa.